de Bleu-Rouge » Mar 7 Nov 2023 16:51
Alain Estève, le colosse biterrois, a fini par tomber
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Rugby XV, Sport, Béziers
Publié le 07/11/2023
Mélissa Alcoléa
La figure du rugby biterrois, Alain Estève, s'est éteinte ce mardi 7 novembre, à l'âge de 77 ans. Retour sur le parcours du "grand" qui a choisi le rugby pour s'offrir une meilleure vie. Puissant, écorché, généreux... les adjectifs sont nombreux et les hommages unanimes pour saluer l'homme de mêlée mais aussi l'oiseau de nuit.
Un physique hors-normes. Et un homme hors-normes. Alain Estève, l'ancien deuxième ligne de l'ASB, s'en est allé. Le "grand", comme on le surnommait, est décédé ce mardi 7 novembre, à l'âge de 77 ans, des suites d'un cancer dont il souffrait depuis 2 ans...
Depuis, l'émotion est palpable. Chez ses amis, dans le monde du rugby et parmi les Biterrois. Les mots s'étranglent un peu dans les gorges pour saluer, de façon assez unanime, la puissance et la singularité d'Alain Estève, mais aussi sa gentillesse, sa générosité. Un géant de 2,02 mètres qui marquera à jamais l'histoire du rugby biterrois, national, voire international. Un personnage. Qui a sans nul doute puisé sa force dans une enfance difficile et pauvre.
Services sociaux, maison de correction
Dans le livre Alain Estève, le géant de Béziers, que son ami Jean-Luc Fabre a publié fin 2021, les premières années audoises du futur rugbyman sont décrites sans détour : les services sociaux, puis la maison de correction de Millegrand où il est placé de 9 à 16 ans et d'où il tente de s'échapper. De cette période, il dit : "Pendant tout ce temps, je n'ai aucun souvenir de quelqu'un qui se soit occupé de moi. Personne ne me parlait, à part pour me punir." Nul doute que ces moments ont forgé le sportif en devenir. Ses premières entrées sur un terrain de rugby en junior, il les fait à Castelnaudary. Avant de passer deux saisons à Narbonne et de débarquer à Béziers en 1967. George Senal, ancien joueur de l'AS Béziers de 1966 à 1980, raconte ce souvenir dans le livre : "Quand le grand est arrivé de Narbonne, on voyait qu’il était dans la misère. Il avait été éjecté de l’équipe et il semblait déboussolé. On est devenu copains rapidement. Raoul nous a immédiatement associés en deuxième ligne. On s’entendait bien parce qu’on était complémentaire. On avait confiance l’un dans l’autre..."
Parcours
Alain Estève est né à Castelnaudary. Il a grandi à Pexiora, dans l’Aude. Il a commencé le rugby en junior à Castelnaudary, avant de passer deux saisons à Narbonne, puis de débarquer à Béziers en 1967. Deuxième ligne de 2,02 m, il a gagné 8 boucliers de Brennus avec l’ASB. Il a eu 20 sélections tricolores de 1971 à 1975. Et mis un terme à sa carrière en 1982. Il a par la suite géré plusieurs établissements de nuit à Béziers, Agde, Vias, Vendres...
"Je prenais des coups et j'en donnais"
Suit une carrière à l'ASB qui s'achèvera en 1982 avec au passage pas moins de huit boucliers de Brennus et vingt sélections en équipe de France. La grande époque. Mais pour Alain Estève, le rugby n'est pas une passion mais "un combat". Á Jean-Luc Fabre, dans le cadre de la préparation du livre, il lâche ainsi : "Peut-être que derrière, eux, ils prennent leur pied. Mais pour nous, devant, c’est autre chose. Jouer pour le plaisir, c’est une vraie connerie. Des trucs de journalistes. Moi, je prenais des coups et j’en donnais. C’est tout ce que je voyais. (...) Le rugby, pour moi, c’était la gamelle. Il fallait que je m’en sorte. Ça me permettait de bouffer." Un franc-parler et une gouaille qui l'accompagneront toute sa vie. Y compris dans le monde de la nuit qu'il a ensuite aimé fréquenter en gérant des boîtes de nuit place d'Espagne à Béziers notamment, à l'image du 218...
Bien sûr, au moment de dire au-revoir à Alain Estève, c'est davantage l'homme de mêlée que l'homme de nuit qui est évoqué. "C'est toute une époque qui s'en va. Une époque incroyable qui faisait de cette équipe de Béziers un monument dans le rugby français", estime Jean-Luc Fabre. "Un journaliste avait écrit qu'il était "le plus bel avant de combat qu'ait produit le rugby français"". "Il était monumental sur le terrain et dans la vie", glisse son ami, évoquant encore "un symbole de Béziers".
Également très ému, le président de l'ASBH Jean-Michel Vidal confiait, ce mardi : "On fera un grand hommage pour le prochain match à domicile face à Dax (vendredi 17 novembre NDLR). On va lui faire l'hommage qu'il mérite."
Réactions :
Jean-Michel Vidal, président de l'ASBH : "C'était un ami, une grande figure du rugby biterrois. En tant que joueur, c'était quelqu'un de respecté, un des monstres de ce jeu-là en France, si ce n'est dans le monde. Grand par la taille et grand dans le cœur. Il a eu une enfance misérable, il a joué au rugby pour se sortir de cette misère. Pour lui, c'était un moyen financier et d'évasion sociale. Il n'aimait pas plus que cela le rugby mais ça lui a permis de vivre. Après, ses qualités physiques et techniques étaient hors normes, faisant de lui un joueur respecté dans le monde entier."
Éric Freitas, président de l'Association : "C'est une grande tristesse. Car c'était un grand homme et un grand joueur. Une figure emblématique du rugby biterrois. Mes parents l'avaient accueilli pendant plusieurs mois à la maison quand j'étais gamin. Ma mère et mon père étaient les parrains de ses enfants. Et il était mon parrain. Alain Estève, c'était la grande époque. Il n'a peut-être pas eu de carrière internationale à sa hauteur car il avait un franc-parler. C'était un écorché vif, avec une vraie parole. Il a eu des déboires dans sa vie. J'ai été son portier à l'Eden, une boîte de nuit à Béziers, pendant 4 ans... C'était un personnage avec ses excès et surtout sa gentillesse. Le club biterrois est en deuil".
Richard Astre, ancien demi de mêlée, a joué à ses côtés pendant près d'une décennie. Il était sous le choc et affecté ce mardi : "Je suis très triste, comme tout le monde et ceux qui l'ont approché de près. C'était un frère d'armes. Un monument de joueur. Il avait des qualités physiques et une force mentale exceptionnelle. Car il avait eu une enfance particulièrement difficile, il avait souffert et a trouvé à travers le sport une reconnaissance, un équilibre, une motivation et des amis. Pour moi, c'était plus qu'un ami, on était de la même génération, on a connu beaucoup de choses ensemble qui sont gravées dans l'histoire. Il va rester dans les mémoires de tout le monde sur la ville".
Les obsèques auront lieu ce jeudi 9 novembre, à 14 h, au Pech Bleu à Béziers.
ASB : "PATRIMOINE IMMATÉRIEL DE BÉZIERS" !
CE qui ne tue pas rend plus fort".
"La plus grande gloire n'est pas de ne jamais tomber, mais de se relever à chaque fois"!